L’auberge de la Jamaïque, Daphné du Maurier et la modernité.
Quand mon propriétaire a vu sur ma table basse les deux livres de Daphné du Maurier que j’avais ramené de la braderie du Secours Populaire, il a dit « Ah oui, Daphné du Maurier, effectivement, c’est un peu désuet ».
C’est vrai que passant beaucoup de temps de vide-grenier en marché aux Puces, je commence à avoir une belle collection de bouquin d’apparence vieillote et de plus de cinquante d’âge.
J’ai lu depuis « L’auberge de la Jamaïque », un peu parce que j’avais un bon souvenir de « Rébecca », du même auteur, et un peu aussi grâce à Océane qui m’a remis cette auteur en tête, avec son challenge Daphné du Maurier (auquel j’aurai peut-être soumis cet article si je m’y étais prise plus tôt).
Alors, j’en pense quoi, de ce livre ?
« L’auberge de la Jamaïque » est un sacré bon bouquin.
Mary Yellan, une petite paysanne arrachée à sa verte campagne suite au décès de sa mère, se retrouve chez sa vieille tante et son oncle dans une auberge solitaire en Cornouailles. L’action pourrait facilement se passer dans le Mordor, tant la description des marais et des rochers qui l’entourent, de la brume persistante des mois d’hiver, place l’action dans un univers étrange et hostile.
Mary comprend vite qu’il se passe des choses pas très catholiques dans cette auberge, que son oncle qui terrorise sa tante cache forcément d’horribles secrets. Je n’en dis pas plus, même s’il n’est pas bien compliqué de deviner ce qui se trame (j’ai dit que l’action se passait au XIXème siècle ?).
Le fait est que Daphné du Maurier a une plume époustouflante, et qu’il y avait longtemps qu’un roman ne m’avait pas absorbé à ce point.
Quand à la modernité de l’oeuvre, j’aimerai vous citer quelques phrases du roman :
« Elle connut une fois de plus l’humiliation d’être une femme quand, brisée moralement et physiquement, son état fut admis comme une chose naturelle.
Si Mary était un homme, on la traiterait avec rudesse, tout au moins avec indifférence ; […] lorsqu’on en aurait terminé avec elle, s’embarquerait sur quelques paquebots et travaillerait pour payer son passage; ou bien elle prendrait la route, avec quelques sous en poche, le coeur et l’esprit libres.
Mais elle était là, les larmes prêtes à couler, ayant la migraine; on l’éloignait en hâte du lieu du crime avec des paroles et des gestes apaisants; elle n’était qu’un élément d’encombrement et de retard, comme toutes les femmes et tous les enfants après une tragédie. »
Si de tels propos semblent anachroniques et déplacés dans la tête d’une paysanne du XIXème siècle, qui d’ailleurs n’a pas fréquenté l’école bien longtemps, sous la plume d’une Daphné du Maurier, membre de la bonne société britannique, ils me semblent très moderne pour l’époque (le roman a été publié dans les années 1930).
Et si j’en crois certaines choses que je lis ici ou là, c’est toujours d’actualité.